mardi 10 août 2010

Te souviens-tu ?

T'en souviens-tu ? Je l'ai regardée cet après-midi, comme à mon habitude. Tout aussi calme, coulante et réservée, elle n'a jamais vraiment changé et c'est bien ce qui me réconforte en elle. J'aime à la regarder, dans ma chaise de bois, sur la galerie de notre grande et vieille maison. J'aime à la voir se rafraîchir les ailes, à se dépeindre de seconde en seconde, à se couler la frontière toujours plus loin encore, sans jamais pour autant s'éloigner de jour en jour.

Savais-tu qu'elle savait sauter ? La rivière saute en gouttelette à ses extrémités. Elle surprend les marguerites qui osent, quelquefois, pousser un peu trop près, mais jamais assez pour les noyer. Cette rivière n'a jamais été bien méchante. Même en temps d'orage, elle se montre tout aussi inoffensive que fragile. Aussi douce et pareille qu'en son jeune temps.

Te souviens-tu du nôtre ? Notre jeunesse à nous ? Nous la longions souvent en après-midi l'été et tu ramenais toujours de nos promenades, quelques marguerites et quelques sourires dans ton visage. Puis, nous revenions le soir, à chaque fois peu avant le coucher du soleil. Nous préférions être à la maison pour ce moment, car nous aimions regarder le ciel se colorier d'orange, de jaune et de rose pâle et ce soleil aux yeux brûlants, se cacher les lunettes sous l'horizon. Nous regardions toujours cet instant sur ces chaises qui ne font que garnir notre galerie.

Je me sens un peu nostalgique de ce temps, je dois avouer. Aujourd'hui, Martin est venu à la maison et est déjà grand. Il ne vient plus aussi souvent qu'avant, tu sais ce que c'est... Il s'est marié, il y a déjà plusieurs années, avec Sophia, son amie avec qui il passait beaucoup de temps étant plus jeune. Nous avions toujours su qu'ils finiraient ensemble ces deux-là, leurs histoires ressemblaient trop à la nôtre. Et puis, ils ont trois enfants et ça grandit vite ces petites bêtes ! Il me semble qu'hier seulement, Martin ne faisait que trois pommes, et voilà que ses enfants ont déjà tous dépassé cette taille... le temps coule trop vite et de jour en jour, tout semble partir aux bouts de mes doigts...

Ils vont prendre ma maison Madeleine, malgré moi, toujours vivant, ils vont me reprendre notre maison. Martin est à l'intérieur présentement, il finit d'empaqueter les dernières boîtes et demain, je partirai dans une maison pour vieux... Jamais j'aurais cru vivre assez longtemps pour en arriver jusque-là et malheureux comme je suis, mon cœur semble trop en santé pour me laisser partir avant demain.

Te souviens-tu de cette soirée où la rivière était en chamaille ? Tu t'étais endormie tôt ce soir là, tes idées doivent être tout entremêlées... Il y avait un orage au ciel et nous le regardions, toujours sur notre galerie, buvant une tisane de gingembre. Puis, dans un élan de bataille, c'est là que tu t'étais endormie. Le fracas de ta tasse au sol m'avait fait sursauter, mais ce fut à mon tour de me fracasser le cœur par la suite. Tu ne t'es plus jamais réveillée... Tu rêvas de rose pâle en étoile et de marguerite en navire jusqu'à l'éternel...

Je m'ennuie de toi Madeleine, je m'ennuie de notre fils qui semble oublier son vieux père et je vais m'ennuyer de ce soleil couchant. Crois-tu que je pourrai le voir de ma fenêtre là-bas? Soupir...

Je regardais la rivière, le ciel rosé, mes mains fripées par le temps, derrières mes paupières qui se fermaient d'eux même... Je suis fatigué Madeleine...

J'ouvrais les yeux tranquillement. J'entendais le jappements insoutenables des machines de l'hôpital, je voyais apparaître la silhouette de mon fils, son épouse et peu à peu, leurs visages, leurs yeux en fatigue et leurs cheveux en insomnie. Je voyais apparaître la fenêtre me laissant la vue d'un building voisin du centre-ville. Soupirs et misère ! J'emmerde la médecine et ses progrès...

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